TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS, 3eme chambre 3e section

JUGEMENT rendu le 12 juin 2020

N° RG 17/14295 – N° Portalis

Assignation du : 05 octobre 2017

DEMANDEURS

Monsieur Z F-AC […]

représenté par Maître Emmanuel PIERRAT de la SELARL CABINET PIERRAT, avocat au barrcau de PARIS, vestiaire #L166

SOCIÉTÉ DES AUTEURS DES ARTS VISUELS ET DE L’IMAGE FIXE (SAIF)

représentée par Me Z-B LAGARDE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D 127

DÉFENDEURS

Monsieur D E AD AE […]

JAPON

représenté par Maître Thomas DEBIESSE de la Société DBK, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2367

Société de droit allemand U V représentée par Monsieur X Y

Alberusstr. 9-11 D

représentée par Maître Claude-Étienne ARMINGAUD du Cabinet K & L GATES LLP, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J120

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Carine GILLET, Vice-Président Laurence BASTERRELIX, Vice-Président Elise MELLIER, Juge

assisté de Alice ARGENTINI, Greffier présent lors des débats et de Catherine DEHIER, Greffier présent lors du prononcé.

DÉBATS

A l’audience du 11 mars 2020 tenue en audience publique

Après clôture des débats, avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu publiquement par mise à disposition au greffe le 24 avril 2020.

Par application de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, et de l’ordonnance de roulement modificative du président du tribunal judiciaire de Paris du 16 mars 2020 prise dans le cadre du plan de continuation de l’activité de cette juridiction, en date du 15 mars 2020, le délibéré initialement fixé au 24 avril 2020, a été prorogé à ce jour.

JUGEMENT Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe

Contradictoire en premier ressort

Z F-AC (ci-après « Z A ») se présente comme un artiste reconnu et l’un des plus grands photographes plasticiens et conceptuels contemporains. Ses photographies sont exposées dans des galeries et font l’objet de rétrospectives, tant en France qu’à l’étranger et sont également publiées dans de célèbres magazines tels que VOGUE. Il a notamment réalisé des photographies pour des annonceurs prestigieux comme B C qui ont cherché son regard et ses conceptions visuelles pour leur publicité.

Par bulletin du 11 février 2006, il a adhéré à la Société des Auteurs des Arts Visuels et de l’Image Fixe (ci-après « la SAIF »), organisme de gestion collective de droits d’auteur ayant notamment pour objet de défendre les intérêts matériels et moraux de ses membres et ayant qualité à agir dans l’intérêt individuel de ses membres ainsi que dans l’intérêt collectif des différentes professions représentées en son sein.

D E est un photographe japonais né à Osaka en 1938, qui vit et travaille essentiellement à Tokyo, reconnu à l’international, présentant ses œuvres dans des galeries d’art contemporain partout dans le monde et ayant publié environ 220 recueils de photographies, dont plusieurs ont été honorés par les critiques. La Fondation CARTIER pour l’Art Contemporain a reconnu, lors de deux rétrospectives en 2003 et 2015, l’influence de D E dans le monde artistique, le qualifiant de « figure mythique de la photographie contemporaine japonaise ». Ses œuvres retranscrivent la fascination qu’il porte pour la ville et la photographie de rue (« street photography »), décrite comme un type de photographie moderne transformant la vision traditionnelle des prises de vue, en écartant les styles usuels et en exprimant un regard nouveau sur le paysage urbain des grandes villes occidentales.

La galerie d’art contemporain allemande U V a ouvert ses portes en 2000 à Cologne, afin de promouvoir l’art moderne auprès du grand public. Grâce aux liens qu’elle est parvenue à établir avec des maisons d’éditions et des musées internationaux, tels que le Centre Pompidou à Paris, celle est aujourd’hui reconnue à l’échelle mondiale pour son expertise en matière d’art contemporain. Elle a notamment fait le choix de se spécialiser dans les arts japonais, russe et allemand, en exposant de nombreuses œuvres ayant fait l’objet de collaborations artistiques, notamment à Cologne et à Paris. Elle s’est rapprochée de la galerie japonaise Taka Ishii, par le biais de laquelle elle a exposé de nombreuses photographies de l’artiste D E.

Le magazine EGOISTE, revue « culte » au format inhabituel, bénéficiant de publicités de grandes marques de luxe, a fait appel en 2000 à Z F, compte tenu de sa notoriété, pour la réalisation d’une séance AA pour le joaillier CARTIER. Parmi les photographies réalisées, figure une photographie représentant une panthère appuyée sur la devanture d’un magasin de cette marque.

Cette photographie a été diffusée en page 4 du n° 14 du magazine EGOISTE paru au 4e trimestre 2000, puis, plus largement, sur divers supports et exposée, notamment aux Galeries Lafayette en 2002.

En 2012, à l’occasion du salon PARIS AA, première foire internationale dédiée à la photographie qui se tient chaque année depuis 1997 au Grand Palais à Paris, Z F dit avoir découvert que l’une des galeries exposantes, la Galerie U V, avait offert à la vente et montré sur de grands panneaux, au stand B34, une photographie de 150 x 100 cm présentée comme étant l’œuvre de D E et faisant partie de la série « KYOKU/EROTIKA »

Estimant que, sous prétexte d’une photographie de rue du mouvement « appropriationiste », le cliché se contente de reproduire intégralement son œuvre sans que son nom soit mentionné, Z F a interrogé CARTIER qui a immédiatement envoyé le 16 novembre 2012 un courrier à la Galerie U V lui demandant de cesser toutes exploitations de l’œuvre de Z F. Ce dernier a également adressé le 26 novembre 2012 une mise en demeure à la Galerie U V, son dirigeant X BRÛGGEMANN ainsi que D E, réitérée à l’égard de ce dernier le 12 décembre 2012 en langue anglaise. Cette photographie a par la suite été reproduite et offerte à la vente sur le site internet de la Galerie U V, puis a été reprise dans le cadre d’articles sur plusieurs sites internet.

Par actes du 5 octobre 2017, Z F-AC et la SAIF ont assigné devant ce tribunal D E et la Galerie U V en contrefaçon de droits d’auteur.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 25 juillet 2019, Z A demande au tribunal, au visa des articles L. 11 1-1, L. 113-1, L. 113-2, L. 113-4, L. 121-1, L. 122-1, L. 122-2, L. 122-3, L. 122-4, L. 331-1-3, L. 335-2 du code de la propriété intellectuelle, de l’article 2224 du code civil et des articles 46, 74 et 700 du code de procédure civile, de :

  • DIRE Monsieur Z A recevable à agir et bien fondés en ses demandes
  • DIRE ET JUGER que Monsieur Z F est l’auteur de la photographie en cause, laquelle est éligible à la protection par le droit d’auteur en vertu du Livre Ier du code de la propriété intellectuelle,
  • DIRE ET JUGER qu’en reproduisant et en communiquant au public la photographie litigieuse lors de l’exposition PARIS AA, Monsieur D E et la Galerie U V ont commis des actes de contrefaçon au préjudice de Monsieur Z F,
  • DIRE ET JUGER qu’en attribuant la paternité exclusive de la photographie litigicuse à Monsieur D G et en omettant de mentionner le nom de Monsieur Z F, Monsieur D E et la Galerie U V ont porté atteinte aux prérogatives de droit moral de Monsieur Z F,

En conséquence :

  • CONDAMNER AG solidum Monsieur D E et la T U V à payer à Monsieur Z F les sommes suivantes :
    • 85.000 euros à titre de réparation de son préjudice moral par atteinte au droit de paternité sur ses œuvres et au droit au respect sur les œuvres de Monsieur Z F,
    • 60.000 euros à titre de réparation de l’atteinte à son droit de reproduction et de représentation sur son œuvre,
  • ORDONNER à titre de réparation complémentaire, la publication intégrale ou par extrait du dispositif du jugement à intervenir dans cinq publications quotidiennes ou périodiques au choix de Monsieur Z F et aux frais avancées de, AG solidum, Monsieur D E et la Galerie U V, dans la limite de 5.000 euros HT par publication
  • ORDONNER à Monsieur D E et à la Galerie U V, l’interdiction d’exploitation, de reproduction et de communication au public de la photographie contrefaisante sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée
  • ORDONNER à Monsieur D E et à la Galerie U V, la production sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard de l’intégralité des documents justifiant des recettes encaissées avec la photographie contrefaisante -CONDAMNER AG solidum Monsieur D E et la T U V à payer à Monsieur Z F une somme de 20.000 euros sur le fondement de l’article 700 de code de procédure civile,
  • ORDONNER l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Dans l’assignation délivrée le 5 octobre 2017, la SAIF a formé des demandes conjointes avec Z F. En l’absence de conclusions postérieures, ses demandes au tribunal sont les suivantes :

  • Dire Mr Z F et la SAIF recevables et bien fondés en leurs demandes
  • AF que Mr D E a commis des actes de contrefaçon à l’encontre de Mr Z A et de la SAIF, en photographiant la photographie de Mr Z F et en la diffusant sans mention du nom de son auteur, sous forme d’expositions, de présentations publiques, de reproductions et de représentations sur Internet, et de ventes de tirages de différentes dimensions,
  • Dire que la T U V s’est rendue complice des actes de contrefaçon commis, coupable de débit d’ouvrages contrefaisants et coupable de contrefaçon sur son site Internet,

— Dire que Mr D E et la Galerie U V ont également porté atteinte au droit moral de paternité de Mr Z A en ne mentionnant pas son nom,

  • Condamner en conséquence D E AG solidum avec la T U V à payer à Monsieur Z A les sommes suivantes :
    • 85.000 euros à titre de réparation de son préjudice moral par atteinte au droit de paternité sur ses œuvres et au droit au respect sur les œuvres de Monsieur Z F,
    • 60.000 euros à titre de préjudice patrimonial,
  • Condamner Mr D E et la Galerie U V, AG solidum, à payer à la SAIF une somme de 5.000 euros à litre de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte aux droits dont elle a reçu apport de l’auteur, à raison des exploitations sur Internet,
  • Ordonner à titre de réparation complémentaire la publication intégrale ou par extrait du dispositif du jugement à intervenir dans cinq publications quotidiennes ou périodiques au choix de Mr Z A et aux frais avancées de, AG solidum, Mr D E et la Galerie U V, dans la limite de 5.000 euros HT par publication,
  • Condamner AG solidum Mr D E et la Galerie U V à payer d’une part à Mr Z A une somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 de code de procédure civile, d’autre part à la SAIF une somme de 2.000 euros sur le même fondement, ainsi que dans tous les dépens, que Me Z-B LAGARDE, Avocat à la Cour, sera autorisé à recouvrer directement dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile,
  • Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 20 juin 2019, la société de droit allemand U V demande au tribunal, au visa des articles L. 112-1 et L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, de l’article 12 1-7 du code pénal, des articles 3 1, 32 et 122 du code de procédure civile, des articles 1998 et suivants du code civil et de l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme,

de :

AF AG AH AI, l’absence de qualité à agir de Monsieur Z F ;

AF A TITRE PRINCIPAL, l’absence d’originalité de la photographie ;

AF A TITRE SUBSIDIAIRE, l’absence d’actes de contrefaçon, et de débit d’ouvrages contrefaisants imputables à la galerie U V et la violation de la liberté d’expression de Monsieur D E ;

AF À TITRE RECONVENTIONNEL, le mandat existant entre Monsieur D E et la galerie U V pour d’exposition et la vente de ses œuvres ;

AF que Monsieur Z F n’a subi aucun préjudice ;

AF l’absence de justification des mesures de publication et d’interdiction et de destruction,

En conséquence,

DEBOUTER Monsieur Z F de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

A TITRE RECONVENTIONNEL ET SUBSIDIAIRE,

  • CONDAMNER Monsieur D E à garantir la galerie U V de l’intégralité des condamnations mises à la charge de celle-ci tant en principal, frais et accessoires ;
  • CONDAMNER Monsieur Z F à payer AG solidum la somme de 20.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
  • ORDONNER l’exécution provisoire de la décision.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 septembre 2019, D E demande au tribunal, au visa des articles 9, 15 et 31 du code de procédure civile, de l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, de l’article 1° » de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, de l’article L. 11 1-3 du code de la propriété intellectuelle de :

À titre principal :

  • DECLARER irrecevable l’action de Monsieur Z F et de la SAIF dirigée à l’encontre de Monsieur D E, car mal dirigée, et/ou concernant des faits prescrits, et/ou commis hors de France, et/ou commis par des tiers, ressortissants étrangers, et qui ne sont pas imputables à D E ;
  • DECLARER irrecevable l’action de Monsieur Z F et de la SAIF dirigée à l’encontre de Monsieur D E, faute pour Monsieur Z F de démontrer sa qualité d’auteur et la titularité des droits afférents, alors que cette charge lui incombe ;
  • METTRE HORS DE CAUSE Monsieur D E ;

À titre subsidiaire :

  • JUGER que Monsieur D E n’a pas porté atteinte aux droits de Monsieur Z F ;
  • JUGER que Monsieur Z F et la SAIF ne démontrent pas avoir subi le moindre préjudice ;
  • DONNER ACTE à Monsieur D E que, sans reconnaissance du bien-fondé des demandes de Monsieur Z F et de la SAIF, il s’engage à donner instruction à la galerie japonaise qui le représente de ne pas procéder à la vente des tirages de la photographie litigicuse ;
  • DEBOUTER Monsieur Z F, la SAIF et le cas échéant U V de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ; à tout le moins, les limiter à un euro symbolique ;

En tout état de cause

  • CONDAMNER Monsieur Z F et la SAIF AG solidum à verser une somme de 30.000 euros à Monsieur D E au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 21 novembre 2019 et l’affaire a été plaidée à l’audience du 11 mars 2020.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait référence aux écritures précitées des parties, pour l’exposé de leurs prétentions respectives et les moyens qui y ont été développés.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité à agir de Z F et de la SAIF

  • sur la prescription des actes de contrefaçon

D E fait valoir que les faits de contrefaçon qui lui sont reprochés par les demandeurs dans leur assignation au titre de la prise de la photographie d’une vitrine CARTIER, dont un tirage a été réalisé par la galerie Taka Ishii puis livré à la Galerie U V qui l’a exposée au salon Paris AA, sont prescrits, la photographie ayant été réalisée en 2004 en Allemagne et publiée en 2007 dans l’ouvrage « Kyoku/Érotica ».

Cependant, dans le dernier état de ses écritures, Z A ne demande plus au tribunal de dire que la photographie de sa propre photographie constitue une contrefaçon, ses demandes concernant désormais exclusivement l’exposition de la photographie litigicuse au salon PARIS AA en 2012, dont il n’est pas soutenu qu’elles seraient prescrites.

Seule la SAIF, qui n’a pas conclu postérieurement à l’assignation délivrée conjointement avec Z F, poursuit encore les faits de contrefaçon commis par D E lors de la prise de vue de la photographie litigieuse. Cependant, la SAIF n’agissant qu’au titre des droits sur l’œuvre de Z F dont il lui a fait apport, et seuls les faits commis à l’occasion du salon PARIS AA en 2012 étant susceptibles de porter atteinte aux droits qu’elle a qualité à défendre, l’irrecevabilité soulevée par D E est devenue sans objet.

  • sur la compétence du tribunal judiciaire de Paris

D E indique que Z F ne peut demander réparation du préjudice qui résulterait d’actes commis hors de France par des ressortissants étrangers, le tribunal judiciaire de Paris n’étant compétent que pour statuer sur les faits d’exploitation ayant eu lieu en France.

Z F réplique que cette exception d’incompétence est irrecevable en ce qu’elle aurait dû être soulevée AG AH AI devant le juge de la mise en état. Il ajoute qu’en tout état de cause les faits de contrefaçon ont été commis au salon PARIS AA, qui a cu licu dans le ressort du présent tribunal, et que, s’agissant des faits de contrefaçon commis via internet, le site de la Galerie U V était accessible pour le public français.

Sur ce,

L’article 74 du code de procédure civile dispose que « Les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l’exception seraient d’ordre public ».

Si le moyen tiré de la prescription de l’action en contrefaçon est une fin de non-recevoir qui, invoquée en premier, rend irrecevable l’exception de compétence soulevée postérieurement, il résulte en l’espèce des écritures de D E que la compétence du tribunal de céans n’est pas contestée, ni territorialement, à raison des actes commis lors du salon Paris AA, ni matériellement, pour connaître des demandes fondées sur les faits de contrefaçon allégués. Le défendeur se contente en effet de rappeler que, ayant fait le choix de saisir la juridiction française et non celle du lieu où le défendeur demeure, Z F ne peut, devant cette juridiction, que solliciter la réparation du préjudice qu’il dit avoir subi en France. Ce moyen sera donc pris en considération dans le cadre de l’appréciation des demandes indemnitaires formées par Z A et il n’y a donc pas lieu de le déclarer irrecevable en son action.

  • sur l’imputabilité des faits à D E

D E soutient qu’aucun des agissements fautifs (exposition du tirage, réalisation du tirage, offre à la vente du tirage, parutions dans des publications) ne peut lui être imputé, de sorte que les demandes formées tant par Z F que par la SAIF sont irrecevables car mal dirigées.

Cependant, la caractérisation d’actes de contrefaçon imputables à D E ne constitue pas un moyen de recevabilité de l’action mais relève de l’appréciation au fond de l’existence de faits de contrefaçon et sera donc examinée à ce titre.

  • sur la qualité à agir de Z F

La société U V fait valoir que le demandeur échoue à démontrer qu’il est titulaire de droits d’auteur sur la photographie parue dans la revue EGOISTE, celle-ci ayant été réalisée à la demande et sur instructions de J K , personne extérieure au présent litige, la panthère étant le symbole du joaillier CARTIER, Z F n’ayant eu qu’un rôle technique et son nom ne figurant pas à côté de la photographie publiée selon la pièce n° 1 qu’il a communiquée. Elle souligne que son nom n’apparaît que dans l’ours du magazine, sans lien avec la photographie représentant la panthère CARTIER, et qu’il n’est pas davantage cité dans les différentes revues qui reproduisent cette photographie, ni la photographie recensée dans les articles consacrés à son travail.

D E indique quant à lui que la qualité à agir de Z F n’est pas établie par les attestations des personnes présentes au salon PARIS AA qu’il a versées au débat, pas plus que par les photographies du demandeur devant la photographie sur laquelle il revendique des droits d’auteur. Il conteste au demandeur le bénéfice de la présomption de titularité, la photographie n’ayant pas été diffusée sous son nom mais sous un double crédit qui désigne J K comme conceptrice du visuel, ce qui n’est pas le cas de toutes les photographies parues dans le n° 14 du magazine EGOISTE. Il ajoute que si la participation de Z F à la réalisation de cette photographie ne peut être contestée, seule la réalisation technique lui a été confiée, de sorte qu’il ne peut revendiquer en être l’auteur.

Il souligne que le demandeur ne communique aucun élément relatif à la réalisation de cette photographie et que la présence de la panthère, et nécessairement d’un dompteur, avait été organisée dans un but publicitaire et scénarisée, excluant tout choix arbitraire de la part de Z F.

Z F réplique que si J K a pu avoir des suggestions de sujet ou choisir de confier à un artiste la réalisation d’un sujet, elle ne possède pas la qualité d’auteur, qui appartient à celui qui fixe matériellement l’œuvre. Il invoque le bénéfice de la présomption de paternité, la parution de la photographie en page 4 du n° 14 du magazine EGOISTE contenant sa signature en bas à droite, et étant crédité au titre des photos en page 82 de cette parution. Il dit avoir pris cette photographie en totale liberté et sans aucune directive de la part d’une personne extérieure. Il rappelle que de nombreux articles de journaux le présentent comme un photographe de l’univers du luxe ayant travaillé pour les plus grandes marques, dont une quinzaine mentionnant la photographie sur laquelle il revendique des droits d’auteur, et que plusieurs témoins attestent qu’il en est bien l’auteur.

La SAIF indique que la photographie de la panthère devant une vitrine du joailler CARTIER a été réalisée par Z F à l’occasion d’une prise de vue destinée à une parution publi-rédactionnelle dans le magazine EGOISTE, le photographe ayant choisi le cadrage et la mise au point, saisi l’instant convenable, l’angle de prise de vue et le temps de pose.

Sur ce,

Aux termes de l’article L. 111-1, alinéa 1° » du code de la propriété intellectuelle, « L  »auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».

L’article L. 113-1 du même code dispose que « La qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée ».

En l’espèce, il est établi (pièce 120 Z F) que la photographie dont il revendique être l’auteur a été publiée en page 4 du n° 14 du magazine EGOISTE, accompagnée, en bas à droite, de la mention « Z F – conception J K ». Il ne peut donc être contesté que Z F a été crédité pour son travail ayant permis la réalisation de cette photographie, seule la portée de ce crédit pouvant être sujet à interprétation.

Si, comme l’indiquent les défendeurs, d’autres photographies parues dans le même numéro ne comportent que le nom des photographes qui en sont les auteurs (au demeurant jouissant tous d’une renommée particulière, comme M N ou Karl LAGERFELD) et ne précisent pas que la conception en revient à J K, qui a créé et dirige le magazine EGOISTE, il ne peut en être déduit que Z A n’aurait eu qu’un simple rôle d’exécutant technique.

Par ailleurs, la réalisation de cette photographie au cours d’une séance organisée et scénarisée, et notamment la présence d’un dompteur accompagnant la panthère, le fait que ce félin a été choisi par référence à l’image emblématique de la marque CARTIER, n’exclut pas en elle- même que Z A a pu faire preuve de créativité au-delà de son engagement aux fins de réalisation d’une publicité inédite et destinée au magazine EGOISTE.

Or il résulte de l’attestation de O P (pièce 121 Z A), photographe ayant assisté Z A au cours de la séance ayant permis la réalisation de la photographie de la panthère appuyée sur la vitrine d’un magasin CARTIER, qu e : « La réalisation de la première AA (la panthère marchant vers nous) a été faite avec un Nikon FS (24 x36) posé sur un petit picd au ras du sol. Après cette AA, et en attendant la préparation de la prochaine séquence,le dompteur a profité de cet instant de liberté pour laisser à la panthère la possibilité de « faire quelques pas ». Elle s’éloigne de nous puis revient vers nous et longe le bord de la boutique. Puis elle se dresse… Je vois Z F qui en un instantsaute par-dessus l’appareil toujours posé, fixé au sol. La panthère est maintenant debout sur ses pattes arrières et Z F a saisi son Leica 76 qu’il porte toujours à son cou et shoote la AA. Il faut dire que cette AA n’était pas prévue dans l’histoire ». La description de cette séance établit qu’en prenant cette photographie, Z A est allé au-delà du cadre de la commande qui lui avait été passée et dont les visuels avaient été définis, pour faire preuve d’une initiative créative témoignant de sa liberté d’action et de son sens de l’à-propos. Dès lors, étant l’auteur de cette photographie et non un simple exécutant technique, Z F est recevable à agir en contrefaçon et, partant, la SAIF, à qui il a fait apport des droits patrimoniaux de reproduction, de représentation, de communication au public et de son droit de suite (pièce 3 demandeurs), le sera également.

Sur la protection au titre des droits d’auteur

Z F expose, pour établir l’originalité de sa photographie, que tant sa composition que le choix des effets de lumière et d’ombre, de la construction par l’angle de vue et de l’instant décisif traduisent ses partis pris esthétiques et témoignent de l’empreinte de sa personnalité, cette photographie étant d’ailleurs devenue emblématique de son œuvre et ayant contribué à sa renommée.

La SAIF indique que l’empreinte de la personnalité de Z F se manifeste par le contraste entre la présence du fauve dans la rue, devant la vitrine d’un joaillier et le raffinement des bijoux qu’elle convoite comme s’il s’agissait d’une proie, la composition de la photographie et les choix techniques opérés par le photographe (objectif, sensibilité du film, angle de prise de vue, cadrage, choix de l’instant décisif).

En réplique, la société U V conteste l’originalité de cette photographie, aucun choix n’ayant selon elle été fait par Z F et les circonstances extérieures s’étant imposées à lui. Elle considère notamment que les choix techniques revendiqués par le photographe dans ses écritures sont en contradiction avec le caractère instantané de la photographie et avec l’action immédiate et soudaine de

la panthère qui pose ses pattes sur la vitrine de la boutique CARTIER, et qu’ils ne sont que le fruit du hasard. Elle souligne que les choix de Z F étaient particulièrement restreints du fait des contraintes de lieu et de temporalité de la scène ainsi que des exigences de la commande passée par le magazine EGOISTE et la maison CARTIER à qui est due la présence de la panthère, à laquelle son image est associée depuis les années 1940. Elle rappelle enfin que la notoriété dont se prévaut Z F est inopérante à caractériser l’originalité de la photographie en cause.

Sur ce,

En application des dispositions de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif ect opposable à tous, comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial.

L’article L. 112-1 du même code protège les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.

Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d’une œuvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale. Néanmoins, lorsque cette protection est contestée en défense, l’originalité d’une œuvre doit être explicitée par celui qui s’en prétend auteur, seul ce dernier étant à même d’identifier les éléments traduisant sa personnalité.

En l’espèce, Z F, pour justifier de l’originalité de la photographie dont il est l’auteur, invoque avoir réalisé des choix arbitraires, reflétant sa personnalité, tant au plan technique qu’au plan esthétique et conceptuel.

S’agissant des choix techniques, s’il dit avoir su choisir l’objectif approprié, la sensibilité de la pellicule et le réglage du diaphragme de la photographie, il résulte de l’attestation de O P, qui l’a assisté au cours de cette séance, que la photographie a été prise avec l’appareil que Z F avait conservé autour du cou, tandis que l’appareil qui avait été réglé pour prendre la photographie précédente se trouvait au ras du sol, sur un petit pied. Compte tenu de la réactivité nécessaire à la prise de la photographie, il n’a pu que s’emparer de l’appareil sans pouvoir en vérifier ou modifier les réglages, à l’exception de la focale et du temps d’exposition.

S’agissant de la conception de cette image, Z F expose qu’elle montre une panthère saisie devant une boutique CARTIER, les pattes posées sur le rebord de la vitrine. La posture de la panthère paraît ainsi indiquer qu’elle regarde intensément, en le convoitant comme une proie, le contenu de la vitrine. La queue de la panthère repose sur le sol et l’animal ainsi campé sur ses membres, le corps effilé et élancé semble marquer la concentration et l’intérêt irrépressible et sauvage qu’un fauve a pour sa proie avant de bondir sur elle. Le corps tout entier de l’animal semble tendu vers l’intérieur de la vitrine et les bijoux qui y sont visibles.

Cet effet entraîne, par humour et analogie, la curiosité pour ce que voit l’animal dans la vitrine chez celui qui voit la photographie, des bijoux, mais aussi une panthère sculptée, symbole de la marque. Il dit avoir su saisir le contraste de la présence d’un fauve dans la rue, devant la vitrine d’un joaillier, qui oppose de façon inattendue la vie sauvage d’un prédateur dangereux, la panthère, à la banalité de sa présence sur la voie publique mais aussi au raffinement des bijoux qu’elle convoite à l’égal d’une proie. L’image guide le regard vers ce que le fauve convoite comme si c’était sa proie. Les partis pris esthétiques qui transparaissent de l’image parviennent à susciter chez celui qui regarde la photographie un intérêt pour ce que regarde le fauve. La photographie réussit ainsi à attirer l’attention sur l’intérieur de la vitrine alors que tout un chacun peut passer devant cette vitrine de CARTIER sans porter son regard à l’intérieur.

Ces éléments, relatifs au cadrage et à l’angle de prise de vue, la panthère étant de profil, en appui sur la devanture, la tête au niveau de la vitrine, l’enseigne CARTIER ainsi que les bijoux exposés étant bien visibles, dont un collier particulièrement imposant qui semble appeler l’attention de l’animal mais également de celui qui regarde la photographie, constituent des choix arbitraires traduisant la personnalité du photographe qui, bien que le félin était présent en vue de réaliser des images qui avaient été préalablement scénarisées, a su profiter du mouvement imprévisible de l’animal pour créer une composition traduisant un effort créatif certain. Cette photographie bénéficie donc de la protection au titre des droits d’auteur.

Sur les actes de contrefaçon

Z F reproche aux défendeurs d’avoir, sans son consentement et sans que son nom a été mentionné en tant qu’auteur de l’œuvre préexistante, reproduit intégralement sa photographie, de l’avoir communiquée au public et de l’avoir offerte à la vente dans le cadre du salon PARIS AA qui s’est déroulé du 15 au 18 novembre 2012 en tirage grand format (150,00 x 100,00 cm) exposé au sein du stand B34 de la Galerie U V, puis dans le cadre de sa diffusion sur internet, sur le site de la Galerie U V, accessible en France, notamment le 16 novembre 2012. Il impute par ailleurs à D E seul d’avoir autorisé la diffusion de la photographie litigieuse sur plusieurs sites internet.

Il fait valoir que, même si l’œuvre de D E était considérée comme une œuvre composite à laquelle la sienne serait incorporée, elle a été créée sans respecter les droits d’auteur sur l’œuvre préexistante et qu’il n’est donc pas porté, par la présente action, une atteinte disproportionnée à la liberté de création du défendeur.

La SAIF soutient que les défendeurs ont commis de faits de contrefaçon par reproduction et par représentation ainsi que par débit d’ouvrages contrefaisants, la photographie de Z A ayant été purement et simplement reproduite sans son accord par D E puis vendue, toujours sans son accord et sans que son nom ne soit mentionné. La photographie a également été reproduite et communiquée au public par internet sur le site de la Galerie U V et de la Galerie CHRISTOPHE GUYE.

La société U V conteste les faits de contrefaçon, y compris le débit d’ouvrages contrefaisants, la photographie de D E, qui constitue une mise en abîme de la photographie du demandeur figurant sur la vitrine d’une boutique CARTIER, étant différente de celle de Z Q E et résultant de choix artistiques arbitraires illustrant la richesse de son travail intellectuel et technique. Elle estime que les faits de contrefaçon invoqués par les demandeurs créent un déséquilibre entre les droits de Z F et la liberté d’expression artistique de D E, dont la spécificité du style de photographie, de rue, implique nécessairement de reprendre les éléments disponibles dans l’espace public. Enfin, elle affirme ne pas être responsable des actes de contrefaçon poursuivis, n’ayant agi qu’en tant que mandataire de la galerie japonaise Taka Ishii et de D E, et sollicite, à titre subsidiaire, la garantie de ce dernier en cas de condamnation.

D E revendique la liberté d’expression attachée aux photographes de rue, lesquels visent à photographier l’espace non privé, donc les bâtiments, les personnes et les objets (dont les publicités et les marques) qui s’y trouvent, et à capter ainsi les fragments du réel, proscrivant toute altération artificielle de l’image, de sorte qu’un équilibre doit être trouvé avec le monopole d’exploitation d’un auteur. Il soutient que la photographie litigieuse est un instantané brut, pris de nuit dans une ville allemande et montant la vitrine d’un joaillier, qui n’avait pas vocation à être commercialisé indépendamment de l’ensemble dénommé « Kyoku/Érotika » et dont la vente en France n’est pas établie. Il conteste avoir donné son autorisation à la présentation de sa photographie sur des sites internet et considère que l’atteinte au droit moral n’est pas caractérisée car le nom du demandeur ne figurait pas sur la photographie exposée en vitrine de la boutique CARTIER.

Sur ce,

Aux termes de l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, « L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible (…)».

L’article L. 122-4 de ce code prévoit que « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ».

Enfin, l’article L. 335-2 du même code dispose que « Toute édition d’écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit ».

En l’espèce, il n’est pas contesté que la photographie de D E a été exposée par la Galerie U V sur son stand du salon PARIS AA qui a eu lieu du 15 au 18 novembre 2012, au prix de vente de 9 400 euros. Le cartel accompagnant cette photographie comportait les mentions suivantes : « D E (*1938) Untitled (from the series « Kyoku Erotica ») 2007 Silver print, printed later 150,00 x 100,00 cm Galerie U V, Cologne #06228-LO1 ». Cette photographie a concomitamment été offerte à la vente sur le site internet de la galerie (pièce 5 demandeurs).

Or il résulte de la comparaison de cette photographie avec l’œuvre préexistante de Z A que cette dernière est intégralement reprise, la photographie de D E représentant une vitrine d’une boutique CARTIER dans laquelle a été affichée la photographie réalisée par le demandeur, initialement aux fins de parution publicitaire dans le magazine EGOISTE. Cette reproduction intégrale n’est pas discutée par D R et ne peut être remise en cause par les différences de perspective et de cadrage invoquées par la galerie U V, la contrefaçon s’appréciant par les ressemblances et non par les différences. Si l’œuvre de D E peut être qualifiée de composite en application de l’article L. 113-2, alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle, elle n’en respecte cependant pas le régime, les droits de l’auteur de l’œuvre préexistante n’ayant pas été respectés.

Par ailleurs, la liberté d’expression et le droit d’auteur, compris comme une composante du droit de propriété, sont l’un et l’autre des droits fondamentaux protégés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt Ashby Donald et autres contre France du 10 janvier 2013, a reconnu aux États membres une marge d’appréciation importante pour mettre en balance des intérêts garantis tous deux au titre de la convention européenne, l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression pouvant viser à assurer la protection des droits d’auteur dès lors que l’article 1 du Protocole n° 1 s’applique à la propriété intellectuelle. Il appartient aux défendeurs, qui invoquent la liberté d’expression et de création, d’établir en quoi un juste équilibre entre la protection de celle-ci et celle due au droit de D E imposait qu’il utilise les œuvres de Z F, au demeurant sans son autorisation. Or le photographe japonais indique seulement avoir pris la photographie litigieuse de façon spontanée, en se promenant dans la rue, dans une ville allemande, de sorte que l’utilisation de la photographie de Z F n’était nullement nécessaire à l’exercice de la liberté que le défendeur revendique, toute autre devanture de magasin ayant pu être prise en photographie compte tenu du style de photographie de rue qui est le sien et qui s’attache à montrer le réel sans fard. Dans ces conditions, solliciter l’autorisation préalable de l’auteur de l’œuvre préexistante ne saurait constituer une ayteinte à son droit de créer.

En l’absence d’autorisation donnée par Z F à la reproduction, la représentation et l’offre à la vente d’une œuvre reprenant intégralement la photographie qu’il a prise en 2000 et en l’absence de toute mention de son nom alors que sa paternité sur cette œuvre est établie comme démontré supra, les faits de contrefaçon sont

parfaitement établis tant à l’égard de D G , dont l’œuvre a été mise en vente, que de la société U V, qui dit avoir agi en tant que mandataire de la galerie Taka Ishii mais qui n’a versé au débat que deux contrats rédigés en anglais, intitulés « Consignment agreement » et ne concernant pas l’œuvre litigieuse, et un bon de commande auprès de cette galerie de l’œuvre litigieuse daté du 30 juillet 2011 (pièces 2 et 6 U V), ne pouvant se dédouaner de sa responsabilité en tant que galerie ayant présenté au public et mis en vente l’œuvre litigieuse sur son stand lors du salon PARIS AA. Faute d’établir qu’elle a également agi comme mandataire de D E, celle sera déboutée de sa demande de garantie formée à son encontre.

En revanche, si l’œuvre de D E reprenant intégralement la photographie de Z F a fait l’objet d’articles sur divers sites internet, il résulte des pièces 107 a) à h) produites par les demandeurs que ces articles se rapportaient à un salon consacré à la photographie, W AA AB, qui s’est tenu du 19 au 23 septembre 2012 à Amsterdam, étranger au présent litige et dans le cadre duquel ses œuvres étaient présentées par la galerie REFLEX d’Amsterdam. Les demandeurs seront par conséquent déboutés de leurs demandes en contrefaçon de ce chef.

Sur les mesures réparatrices

Outre des mesures d’interdiction d’exploiter, de reproduire et de communiquer au public la photographie contrefaisante, Z A sollicite la destruction des exemplaires et du négatif, la production par les défendeurs du détail des recettes tirées de la vente de la photographie contrefaisante, la publication du présent jugement, la somme de 85.000 euros en réparation de l’atteinte à son droit moral et la somme de 60.000 euros en réparation de l’atteinte portée à ses droits patrimoniaux.

La SAIF demande la réparation de son préjudice propre résultant de l’atteinte aux intérêts dont elle a statutairement la charge à hauteur de 2.000 euros.

La société U V estime que le périmètre du préjudice réparable est limité, puisqu’il exclut la réalisation de le photographie contrefaisante en 2004, son tirage en 2011 par la galerie Taka Ishii et sa représentation sur internet, notamment sur son site, en 2012, ainsi que les agissements commis par d’autres galeries qui n’ont pas été mises en cause et les dommages matérialisés hors de France, seul le préjudice résultant de l’exposition de la photographie litigieuse au salon PARIS AA étant susceptible d’être réparé. Elle considère cependant que celui-ci est inexistant, l’exposition n’ayant duré que trois jours, des milliers de photographies ayant été présentées par cent vingt-trois galeries et la photographie contrefaisante ne figurant pas dans le catalogue. Elle souligne l’inertie des demandeurs qui ont attendu près de cinq ans après cette exposition pour engager la présente action, l’absence d’atteinte au droit moral de Z F dont le nom ne figurait par sur la photographie affichée en vitrine de la boutique CARTIER saisie par D MORIYAMA, l’impossibilité de prendre en compte les factures produites par Z F pour apprécier le dommage qu’il dit avoir subi et qu’elle évalue, à titre subsidiaire, à la somme de un euro.

D E soutient que Z F n’a subi aucun préjudice patrimonial, la photographie litigieuse n’ayant jamais été vendue par la galerie U V et ayant été retirée de l’exposition dès que le demandeur a fait valoir ses droits, lequel ne justifie d’ailleurs pas des sommes demandées. Il fait valoir que les autres mesures sollicitées sont abusives et excessivement contraignantes, et ne sont justifiées par aucun impact sur la réputation du demandeur ni par le besoin légitime d’informer le public.

Sur ce,

Aux termes de l’article L. 33 1- 1-3 du code de la propriété intellectuelle, « Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

  1. Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
  2. Le préjudice moral causé à cette dernière ;
  3. Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits. Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée ».

En l’espèce, la photographie contrefaisante a été exposée et proposée à la vente au prix de 9 400 euros à l’occasion du salon PARIS AA qui a eu lieu du 15 au 18 novembre 2012, soit quatre jours, et également proposée à la vente sur le site internet de la galerie U V le 16 novembre 2012 (pièce 5 demandeurs), aucun élément n’établissant que cette offre s’est poursuivie au-delà de cette date et les faits de contrefaçon n’ayant pas été retenus au titre des articles parus sur différents sites internet en 2012 et restés accessibles.

Z F a produit différentes factures établissant que ses tirages sont vendus à des prix allant de 25.000 à 70.000 euros (pièce 90 à 100, 110 à 116), cependant il résulte de ces documents que la majorité des photographies ainsi vendues sont des clichés achetés par la société B VUITTON MALLETIER qui en avait commandé la réalisation, de sorte que les prix susvisés ne peuvent être pris en considération pour évaluer le préjudice patrimonial subi par le demandeur. Par conséquent, le préjudice patrimonial subi par Z F sera réparé à hauteur de la somme de 10.000 euros que les défendeurs seront condamnés AG solidum à payer.

L’absence de toute mention du nom de Z F sur le cartel accompagnant la photographie contrefaisante lors de l’exposition, ainsi que sur la page présentant cette œuvre sur le site internet de la galerie U V, porte nécessairement atteinte au droit moral du demandeur sur l’œuvre, ce d’autant plus que les défendeurs, qui ont nécessairement une connaissance extensive du monde de la photographie ne pouvaient ignorer que l’œuvre préexistante était la création d’un autre photographe et qu’elle était, au regard des attestations produites par les demandeurs (pièces 84 et 85 demandeurs), aisément identifiable comme étant l’œuvre de Z F.

Cette atteinte à son droit moral sera réparée à hauteur de 5.000 euros. Les défendeurs seront également condamnés à réparer le préjudice subi par la SAIF, en charge de la gestion des droits de représentation, de reproduction et de suite sur les œuvres de Z F à hauteur de la somme de 2.000 euros.

Par ailleurs, il sera fait interdiction aux défendeurs d’exploiter, de reproduire et de communiquer au public la photographie contrefaisante, sans qu’il y ait lieu de prononcer une astreinte, les faits ayant été commis il y a plus de sept ans et aucun élément n’établissant la volonté des défendeurs de proposer de nouveau ce cliché à la vente.

En revanche, il n’est pas nécessaire d’ordonner la destruction sous contrôle d’huissier des exemplaires et du négatif de la photographie de D E, la mesure d’interdiction étant suffisante à prévenir la réitération des faits de contrefaçon. Il ne sera pas fait droit à la demande de production sous astreinte de la totalité des recettes tirées de la vente de cette photographie, ventilées par pays, le tribunal n’étant saisi que du préjudice matérialisé en France, ni à la demande de publication judiciaire du présent jugement, laquelle paraît inopportune pour des faits commis il y a plus de sept ans et n’ayant reçu aucun écho particulier auprès du public amateur de photographies. Enfin, il n’y a pas lieu de donner acte à D E de ce qu’il s’engage à donner instruction à la galerie japonaise qui le représente de ne pas procéder à la vente des tirages de la photographie litigicuse.

Sur les autres demandes

Les défendeurs, qui succombent, supporteront leurs propres frais et les dépens.

Conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, Maître LAGARDE sera autorisé à recouvrer directement contre les parties condamnées ceux des dépens dont il a fait l’avance sans avoir reçu provision.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, la partie tenue aux dépens ou à défaut, la partie perdante, est condamnée au paiement d’une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, en tenant compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Les défendeurs seront condamnés AG solidum à payer à Z F la somme de 5.000 euros et à la SAIF la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Les circonstances de la cause justifient le prononcé de l’exécution provisoire qui apparaît nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort,

  • Déclare Z F-AC et la Société des Aulc_urs des
  • Arts Visuels et de l’Image Fixe recevables en leur action en contrefaçon,
  • Dit que la photographie prise par Z F, ci-dessous, bénéficie de la protection au titre du droit d’auteur,
  • Dit qu’en représentant, reproduisant et offrant à la vente la photographie « Untitled (from the series « Kyoku/crotica ») 2007 » lors du salon PARIS AA du 15 au 18 novembre 2012, D E ct la société de droit allemand U V ont commis des actes de contrefaçon des droits d’auteur dont sont titulaires Z F et la Société des Auteurs des Arts Visuels et de l’Image Fixe,
  • Condamne AG solidum la société de droit allemand U V et D E à payer à S F la somme de 10.000 euros en réparation de son préjudice patrimonial et la somme de 5.000 euros en réparation de l’atteinte à son droit moral,
  • Condamne AG solidum la société de droit allemand U V et D E à payer à la Société des Auteurs des Arts Visuels et de l’Image Fixe, en réparation de son préjudice, la sommes de 2.000 euros,
  • Déboute la société de droit allemand U V de sa demande de garantie formée à l’encontre de D E,
  • Fait interdiction à la société de droit allemand U V ct à D E d’exploiter, de reproduire et de communiquer au public la photographie contrefaisante,,
  • Déboute Z F de sa demande de destruction des tirages et de production de pièces,
  • Déboute Z F et la Société des Auteurs des Arts Visuels et de l’Image Fixe de leur demande de publication judiciaire,
  • Condamne AG solidum la société de droit allemand U V et D E à payer à Z F la somme de 5.000 euros et à la Société des Auteurs des Arts Visuels et de l’Image Fixe la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
  • Condamne AG solidum la société de droit allemand U V et D E aux dépens, dont distraction au profit de Maître Z-B LAGARDE,

Ordonne l’exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 12 juin 2020

Le Greffier Le Président

Avec Internet, la photo passe du statut d’œuvre de l’esprit à celle de bien de consommation. La preuve de « l’originalité » est de plus en plus difficile à établir en contrefaçon, sauf à invoquer la concurrence déloyale ou le parasitisme. Mais la jurisprudence fluctuante crée de l’incertitude juridique.

L’image est au cœur de notre société et des réseaux de communication en ligne. L’évolution des moyens d’édition électronique permet à chacun de faire des photographies à tout instant depuis un appareil de poche. L’accès à une certaine qualité (quoique parfois standardisée) et la recherche permanente d’une certaine reconnaissance sociale à travers les réseaux sociaux tels que Instagram, Twitter, Facebook, Pinterest ou des blogs divers, incitent chacun à s’improviser photographe et à publier de nombreux contenus photographiques de manière instantanée dans le monde entier.

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La difficile appréhension de la photographie comme œuvre de l’esprit et ses conséquences au cœur des réseaux sociaux.

Le 18 décembre dernier, à la suite de son rachat par Facebook, Instagram dévoilait ses nouvelles conditions d’utilisation, applicables au 16 janvier 2013. Au cœur de cette rénovation du contrat qui lie le réseau social à ses utilisateurs, une disposition reformulée a fait couler beaucoup d’encre en ce qu’elle permettait à la société de monétiser les clichés de ses utilisateurs, notamment à des fins publicitaires. Face à la levée de boucliers des internautes, Instagram, déjà en perte de sacro-saint trafic, a préféré reculer et se confondre en excuses pédagogiques. Pédagogique, car son repli visait à renoncer à dire clairement ce que son contrat d’adhésion prévoyait depuis l’origine : la concession par les utilisateurs au profit d’Instagram des droits d’usage attachés aux photographies mises en ligne sur son site.

Deux jours plus tard, le tribunal de grande instance de Paris (TGI Paris, 3ème chambre, 4ème section, Jugement du 20 décembre 2012 – Philippe G, Alexandra J c./ Paul M.)  rendait un jugement qui pourrait remettre en question les doléances des utilisateurs de réseaux sociaux. Par cette décision, les juges ont refusé de reconnaître à des photographies d’avions prises par des particuliers, un caractère d’originalité suffisant pour permettre une protection par le droit d’auteur.

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