Le Gouvernement vient de clore la consultation publique ouverte à l’occasion du projet de loi pour une République numérique, défendu par Madame le Secrétaire d’État au Numérique Axelle Lemaire (le « Projet Lemaire »). Si cette procédure n’est pas nouvelle au niveau européen (voir par exemple les consultations initiées par la Commission Européenne sur le géo-blocage et le rôle économique des plateformes en ligne), c’est la première fois qu’un projet de loi français fait l’objet d’une telle démarche, d’une manière aussi ouverte, publique et transparente.

A l’image de l’internet, dont a émergé à la fois la Wikipedia et 4chan, et tout comme le Conte de Deux Cités de Charles Dickens, l’ouverture d’un débat au plus grand nombre peut être à la fois « the best of times » et « the worst of times ».

Retour sur certains aspects contributifs des quelques 20.000 internautes1)Soit, si les participations avaient été limitées aux seules personnes physiques de nationalité française, un français sur 300. Cependant, … Continue reading qui ont participé à cette première.

Le Projet Lemaire était initialement composé de 30 articles. Après trois semaines de consultation publique, ce sont près d’un millier de propositions de modifications d’articles et 600 propositions d’articles nouveaux qui devront à présent être étudiés par le Gouvernement.


Parmi ces nouvelles propositions, les participants ont notamment plébiscité la réintroduction de mesures qui avaient été évoquées dans une version du Projet Lemaire antérieur aux arbitrages de Matignon et à la mise en ligne officielle.

1. Des actions de groupe pour les litiges numériques

Introduites en fanfares dans la loi « Hamon » sur la Consommation2)Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation , les actions de groupe, ou « class action » à la française, peinent encore à rééquilibrer les rapports de force entre fournisseurs professionnels et acheteurs-consommateurs.

Notamment, la limitation explicite de leur champ aux seuls « préjudices patrimoniaux résultant des dommages matériels » ne facilite pas leur mise en œuvre dans une société qui se veut pourtant de plus en plus dématérialisée. La récente décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne (la « CJUE ») en faveur de l’activiste Max Schrems illustre que ces problématiques pourraient fédérer les consommateurs dans tous autres domaines : libertés publiques, sécurité nationale, ou encore santé et environnement.

La Quadrature du Net, association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet formée en 2008 lors du débat sur le projet de loi HADOPI, a profité de cette consultation pour proposer la suppression de cette limitation explicite du Code de la Consommation, notamment aux fins de donner aux citoyens une possibilité de sanctionner les atteintes au principe de la neutralité de l’Internet (intégré dans le Projet Lemaire) et à la loi sur la protection des données à caractère personnel. Ainsi, cette proposition réintègre la loi « informatique et libertés » dans le champ des actions de groupe, qui figurait initialement dans le Projet Lemaire, mais va encore au-delà.

Au regard de l’actualité européenne récente en matière de données à caractère personnel, il incombera à présent au Gouvernement non seulement d’étudier la pertinence de cette proposition, mais surtout d’en justifier le non-maintien lors de la discussion devant le Parlement. En effet, les citoyens ainsi que les autorités de protection des données personnelles regarderont l’évolution de cette suggestion avec beaucoup d’attention et l’aspect politique de cette question risque fortement de placer le Gouvernement dans une position délicate… la démocratie participative est un art politique délicat.

2. Domaine public informationnel et liberté de panorama

L’une des propositions les plus audacieuses du Projet Lemaire réside dans la volonté de créer un espace public informationnel. Qu’il s’agisse de l’ouverture des données publiques ou des communs, le Projet Lemaire est ambitieux.

En premier lieu, la qualification du domaine commun informationnel comme « choses communes » ne manquera pas de raviver le débat sur la qualification en tant que « choses » des biens incorporels. En outre, la limitation aux informations « dans le respect du secret industriel et commercial » ou d’un « droit spécifique » comme une obligation contractuelle (telle que notamment une obligation de confidentialité) risque de restreindre cette ambition à une peau de chagrin humaniste.

Sans doute pour anticiper ces écueils, et prêcher pour le trafic en ligne de sa paroisse immatérielle, la fondation Wikimédia, qui porte le projet d’encyclopédie en ligne Wikipedia, a tenu à soutenir la proposition d’une institutionnalisation de la « liberté de panorama ». Si elle était acceptée, cette proposition permettrait aux personnes d’exploiter les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures « réalisées pour être placées en permanence dans des lieux publics ». Nonobstant l’opportunité pour cette fondation d’infléchir la loi pour permettre d’augmenter le contenu graphique disponible sur son site, cette disposition élargirait le périmètre actuel qui autorise déjà les reproductions d’œuvres architecturales protégées, sous la double réserve que la photo ne soit pas prise isolément et que l’élément protégé ne soit que secondaire sur l’image3)Cour d’Appel de Paris, 4e chambre, 27 novembre 1980.

Nous noterons que les actions initiées pour limiter les exploitations de telles reproductions ont le plus souvent été initiées par l’État lui-même, comme cessionnaire des droits de propriété intellectuelle, en particulier ceux relatifs à la Pyramide du Louvre, la Géode ou la Bibliothèque François-Mitterrand.

A contrario, la société d’exploitation de la Tour Eiffel (SETE) utilise cette prérogative juridique pour contrôler les abus d’exploitation des clichés de la Tour Eiffel. En effet, si cette dernière se trouve d’ores et déjà dans le domaine public, son éclairage rénové fait aujourd’hui l’objet d’une protection par le droit d’auteur. Si en pratique, l’autorisation d’exploitation est toujours nécessaire, des droits ne sont exigés que dans le cadre d’un projet commercial en fonction de sa mesure.

En tout état de cause, cette proposition nouvelle a fait l’objet d’un vif débat, avec plus de 1.800 votes favorables et près de 1.400 votes défavorables.

3. Interdiction des ventes liées ordinateur/système d’exploitation

Un participant sous le pseudonyme d’ « Obi Wan Kenobi » (nom d’un personnage et, soit dit en passant, objet d’une protection au titre des droits de propriété intellectuelle au bénéfice de Lucasfilm Ltd/Disney…) a repris un concept qui a fait les choux gras de la jurisprudence en matière de droit de la consommation ces dernières années : interdire explicitement la vente liée d’un système d’exploitation propriétaire lors de l’achat d’un ordinateur.

Si la Cour de Cassation4)Cour de cassation, Première chambre civile – Arrêt du 12 juillet 2012 et Cour de cassation, Première Chambre civile – Arrêt du 20 … Continue reading a déjà pu dans considérer l’absence de pratique commerciale déloyale dès lors que le consommateur était informé et en mesure de bénéficier d’une offre alternative, la prolifération des questions à ce sujet a motivé de cette même juridiction le 17 juin 2015 un renvoi vers la CJUE.

La proposition de ce Maître Jedi de l’Operating System, non formulée en des termes juridiques, s’éloigne des grands principes du Projet Lemaire pour rentrer dans des considérations pratiques qui feront l’objet d’une harmonisation jurisprudentielle européenne à cour terme. Il ne sera donc probablement pas opportun pour le Gouvernement de donner suite à cette demande, à tout le moins avant la réponse de la CJUE attendue dans un calendrier concomitant avec l’adoption du Projet Lemaire, courant 2016.

4. « e-sport », une discipline à part entière ?

La proposition la plus populaire, en termes de votes remportés, vise la reconnaissance des compétitions de jeux vidéos (ou « e-sport ») comme discipline indépendante et distincte des « jeux d’argent en ligne », encadrée par l’ARJEL.

Sans s’attarder sur les mérites de cette proposition -il est difficilement contestable de souhaiter clarifier que les jeux vidéos font plus appel à la dextérité de leurs utilisateurs qu’au simple hasard- et ses retombées économiques éventuelles (la France est régulièrement reconnue pour ses développeurs de jeux mais également ses joueurs nationaux5)Source: Topito), le succès populaire de cette proposition montre les limites de la consultation publique.

En effet, cette proposition fut introduite par le Syndicat des Éditeurs de Logiciels de Loisirs (le « SELL »), qui prêche lui aussi pour sa paroisse et qui a su mobiliser une audience par nature connectée et aisément mobilisable autour d’une même cause qui peut être défendue depuis le confort de son canapé.

A présent, il appartient au Gouvernement de faire la synthèse des propositions reçues. Un premier compte rendu est attendu pour le 26 octobre prochain et des entretiens ont d’ores et déjà eu lieu avec les porteurs des propositions les plus populaires. Certes, l’intention est louable et ce procédé, s’il était amené à être déployé plus régulièrement, pourrait restaurer la confiance du peuple en son législateur. Cependant, il risque également de mettre le Gouvernement en position difficile lorsqu’il s’agira de justifier les abandons de proposition, voire même l’adoption au cours du débat législatif à suivre, d’articles allant à l’encontre des suggestions populaires.

Le « gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple », prôné de Gettysburg à la Constitution française, est tout sauf soluble dans l’internet…

Première publication sur le site Atlantico.fr

References

References
1 Soit, si les participations avaient été limitées aux seules personnes physiques de nationalité française, un français sur 300. Cependant, l’ouverture au plus grand nombre a surtout permis à des regroupements (Wikimedia, La Quadrature du Net…) et des activistes sous pseudonyme de porter les idées les plus populaires. Il est donc difficile pour l’instant de tirer des conclusions sur un taux de participation effectif, ni sur son impact dans le débat législatif à venir.
2 Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation
3 Cour d’Appel de Paris, 4e chambre, 27 novembre 1980
4 Cour de cassation, Première chambre civile – Arrêt du 12 juillet 2012 et Cour de cassation, Première Chambre civile – Arrêt du 20 décembre 2012
5 Source: Topito

Ce nouveau régime de protection complète l’arsenal juridique de protection de la propriété industrielle. Ces nouvelles dispositions doivent être combinées avec les règles existantes du droit des marques, et soulignent ainsi une concurrence éventuelle entre les deux régimes.

Une protection longtemps réservée aux produits agroalimentaires 

Le système de protection des indications d’origine pour les produits alimentaires et agricoles existe depuis longtemps. Au niveau français, le label « Appellation d’Origine Contrôlée » (AOC) protège depuis 1935 les produits viticoles, et depuis 1990 l’ensemble des produits agricoles ou alimentaires, bruts ou transformés. En 1992, la protection de l’origine géographique des produits agro-alimentaires a été étendue au niveau européen par la création des « Indications Géographiques Protégées » (IGP) et des « Appellations d’Origine Protégées » (AOP). Ces deux indications identifient les produits agro-alimentaires selon leurs caractéristiques et leur origine géographique, les IGP offrant un régime plus souple, en termes de lien entre le produit et le territoire, que les AOP.

La célèbre affaire des couteaux « Laguiole », où la marque « Laguiole » avait été déposée sans difficulté par un tiers aux fins d’inonder le marché avec des couteaux de piètre qualité, fabriqués en Chine, a permis de prendre conscience des risques liés à cette absence de protection. Le projet initial de protection, initié avant le changement de majorité, vient d’être entériné par la Loi Hamon. 

Un nouveau droit de propriété industrielle 

Le nouvel article L.721-2 du CPI reprend la logique de la définition des indications géographiques de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). L’objectif affiché des IGPIA est de permettre d’identifier un produit –industriel ou artisanal– en fonction de son origine géographique, dès lors que ledit produit possède une qualité déterminée, une réputation ou d’autres caractéristiques qui peuvent être attribuées essentiellement à cette origine géographique. Les opérations de production ou de transformation du produit doivent avoir lieu dans cette même zone identifiée. Les critères des IGPIA, en termes de lien entre le produit et le territoire, sont donc plus souples que pour les AOC et les AOP. Par exemple, les matières premières utilisées pour la confection des produits ne doivent pas nécessairement provenir de la zone géographique concernée. Le régime des IGPIA est donc plus proche de celui-ci des IGP européennes.

La demande d’homologation et le suivi d’une IGPIA doivent être effectués, auprès de l’INPI, par un « organisme de défense et de gestion », doté d’une personnalité morale (art. L.721-4 du CPI), selon un cahier des charges qui doit indiquer de manière précise les liens entre le produit et son indication géographique. Les IGPIA bénéficient d’une large protection qui garantie les produits contre toute pratique qui serait susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à l’origine véritable et aux qualités du produit. Une peine allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende est prévue pour toute atteinte à la protection apportée à un produit par une IGPIA.

Une concurrence avec le droit des marques ?

Le régime des IGPIA se combine au droit déjà applicable à la protection des marques, au risque de créer une concurrence entre leurs bénéficiaires. En effet, selon l’article L.712-4 du CPI, tel que modifié par la loi Hamon, le droit d’opposition peut désormais être exercé par une collectivité territoriale ou un organisme de défense et de gestion titulaire d’une IGPIA. De même, la loi Hamon modifie l’article L.711-4 du CPI, l’IGPIA venant s’ajouter à la liste des droits antérieurs pouvant justifier le rejet d’une demande d’enregistrement ou l’annulation d’une marque enregistrée. Ainsi, une marque déposée pourra être annulée, au titre de l’article L.714-3 du CPI, si elle porte atteinte non seulement à des droits antérieurs liés « à une indication géographique », mais aussi « au nom, à l’image ou à la renommée d’une collectivité territoriale ». Enfin, l’article L.712-2-1 du CPI crée un système d’alerte pour les collectivités locales qui pourront dès à présent demander à l’INPI d’être informées dans l’hypothèse du dépôt d’une demande d’enregistrement d’une marque contenant leur dénomination.

La loi Hamon, avec la création des IPGIA, offre un outil juridique nouveau aux industriels et artisans, pour défendre leur savoir-faire, et aux collectivités, pour protéger leur économie locale. A l’heure actuelle, la protection effective des IPGIA s’arrête aux frontières nationales. Néanmoins, l’Union Européenne étudie sérieusement la possibilité d’étendre les IGP aux produits non agroalimentaires. C’est donc une véritable évolution du régime de protection de la propriété industrielle qui a été initiée.

En effet, le titulaire d’une marque comprenant une indication géographique, sans que sa production ait un lien suffisant avec un savoir-faire local, pourrait voir sa marque annulée dès lors qu’une collectivité territoriale prouverait que celle-ci porte atteinte à son nom, son image ou sa renommée, ou que le titulaire d’une IGPIA revendique l’antériorité de ses droits. Les titulaires de marques devront désormais prendre en compte les intérêts et les prérogatives des collectivités territoriales et des acteurs locaux souhaitant protéger leur artisanat et leur renommée.

Première publication dans le K&L Gates Trademark and Unfair Competition Bulletin en collaboration avec Olivia Roche