Certains acteurs profitent de la situation pour tromper les consommateurs sur les conséquences légales de leurs offres, au moyen de locutions diverses et variées pour désigner des lettres recommandées électroniques qui n’en sont pas forcément.
La pandémie de Covid-19 a accéléré la numérisation de certains usages et le reconfinement actuel devrait confirmer cette tendance. La lettre recommandée électronique, entre dépôt et remise à toute heure et absence de contact physique, a ainsi connu un véritable essor. Cependant, les prestataires proposant ce service, qui existe depuis 2016 dans un marché ouvert à la concurrence, doivent respecter un cahier des charges strict pour que leurs offres puissent prétendre avoir la même valeur juridique.
Or, certains acteurs profitent de la situation pour tromper les consommateurs sur les conséquences légales de leurs offres, au moyen de locutions diverses et variées pour désigner des LRE qui n’en sont pas forcément. Au regard des conséquences juridiques attachées à une lettre recommandée, une clarification s’impose.
La qualification eIDAS : un sésame garantissant la fiabilité
Si le législateur français s’était déjà essayé en 2005 à introduire une lettre recommandée électronique pour des échanges dans le cadre d’un contrat, c’est avec le Règlement n°910/2014 (dit eIDAS pour « electronic identification and signature ») en 2014 que furent consacrés à l’échelle européenne deux types d’envois recommandés électroniques :
- L’envoi recommandé électronique « qualifié », qui répond à un cahier des charges strict, nécessitant une identification de l’expéditeur et du destinataire et des audits de certification. Ce type d’envoi bénéficie en échange de ce formalisme poussé d’une présomption de fiabilité et, en droit français, d’une équivalence totale à la lettre recommandée papier, y compris sur les effets juridiques qu’il entraine ;
- L’envoi recommandé électronique « non qualifié », souvent appelé « simple », qui ne fait pas l’objet de formalités a priori mais d’une démonstration de fiabilité a posteriori et en cas de conflit – ce qui peut s’avérer non seulement insécurisant pour des échanges nécessitant une preuve certaine et inopérant pour les formalités qui nécessitent un recours à une lettre recommandée pour leur validité.
Dans le droit français, seul l’envoi recommandé électronique « qualifié » a bénéficié en 2016 d’une équivalence totale de ses effets avec la lettre recommandée papier (prévue à l’article L.100 du Code des postes et communications électroniques ou CPCE).
La liste des prestataires français qualifiés est publiquement disponible sur le site du régulateur (l’ANSSI) et comporte aujourd’hui sept entreprises françaises (AR24, Clearbus, Darva, Document Channel, Equisign, Le Groupe La Poste, Tessi Documents Services, sur un total de 20 au niveau européen). Leurs prestations et les modalités de vérification d’identité sont définis dans leurs politiques de qualification : tandis que seule la première peut vérifier des identités à distance par webcam, les autres procèdent différemment (par exemple la remise d’identifiants en main propre).
La lettre recommandée électronique est fiable, mais vérifiez que le prestataire est qualifié
Afin de renforcer la protection des consommateurs, le CPCE sanctionne d’une amende de 50 000 euros tout prestataire qui induirait en erreur les utilisateurs sur les effets juridiques des envois électroniques. S’il reste possible aux prestataires de proposer des envois recommandés électroniques « simples », ces services ne pourront se faire que s’ils indiquent bien ne pas bénéficier de la présomption de fiabilité d’une lettre recommandée – et qu’il ne s’agit donc pas, en droit, de lettres recommandées, même électroniques. En tout état de cause, ils sauraient non plus prétendre à l’appellation de « lettre recommandée électronique », réservée aux seuls envois recommandés électroniques qualifiés.
Cependant, malgré cette sanction, force est de constater que les offres de « lettres recommandées électroniques » proposées aujourd’hui comportent un nombre d’acteurs largement supérieur à ceux présentés dans la liste de prestataires qualifiés.
C’est le cas pour email-AR, LRE France, ou encore Mail-Certificate, qui prétend toujours opérer sous le cadre réglementaire de la lettre recommandée électronique contractuelle de 2005 pourtant aujourd’hui abrogé. Certains acteurs, comme le site Ponee, s’affichent comme un prestataire « conforme eIDAS » sans pour autant être un prestataire qualifié eIDAS par l’ANSSI, et vantent une valeur probante de leurs envois qui serait « supérieure » à celle de la lettre recommandée papier – alors qu’ils ne sauraient prétendre à une quelconque équivalence légale avec celle-ci en l’absence d’une qualification eIDAS.
Sans préjuger de la validité potentielle des offres de ces prestataires au regard de leurs envois recommandés électroniques non qualifiés (qui, pour rappel, ne bénéficient d’aucune présomption de fiabilité en cas de litige), les affirmations à l’emporte-pièce sur les garanties offertes aux utilisateurs sont de nature à tromper ces derniers sur la portée juridique de leurs services
À cet égard, le « courrier légal électronique » de Maileva fait figure de bon élève en précisant et le cadre et les conséquence juridiques de cet envoi recommandé électronique « simple ».
En attendant le gendarme…
Sous couvert de limiter les déplacements aux bureaux de poste et les interactions de proximité, certains acteurs n’hésitent pas à conjuguer profit et pandémie, avec un cynisme à peine voilé.
Si le Ministère de l’Économie et des Finances a mis à disposition un guide d’utilisation de la lettre recommandée électronique en juin 2020, il convient d’évangéliser le public utilisateur et d’attirer son attention sur les tromperies possibles, a fortiori pour les semaines de reconfinement actuellement prévues.
Dans l’attente d’une action éventuelle des pouvoirs publics comme la DGCCRF pour assainir l’écosystème, la vérification régulière de la qualification d’un prestataire considéré sur les listes publiées aux niveaux européen et français s’impose sous peine de voir les effets juridiques de vos recommandés électroniques rester… lettres mortes !
Première publication sur Journal du Net avec Lucile Rolinet.